Si l'École des hautes études en sciences sociales n’a officiellement vu le jour qu’en 1975 en tant qu'institution autonome, lorsque la VIe section de l'École pratique des hautes études (créée en 1947) s’émancipe de la « maison-mère », elle a cependant une longue histoire. Ce que raconte cette histoire ne concerne pas seulement, en effet, le devenir d'une école : la naissance et le développement de l'EHESS constitue un moment de l'histoire des sciences en France depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale et plus particulièrement un moment essentiel dans la construction des sciences sociales, comme domaine épistémologique propre et comme aire d'échanges interdisciplinaires mobilisée par un objet commun : l'homme en société.
C’est par ailleurs une histoire unique, puisque, phénomène singulier, les sciences sociales se sont d’abord agrégées autour de la science historique, elle-même relevant en retour du champ des sciences sociales.
Cette double caractéristique explique certainement l'originalité de l'institution, mais elle renseigne surtout sur la vocation propre qui est devenue la sienne, vocation double et complémentaire d'une analyse en profondeur du passé et d'une recherche expressément orientée sur la compréhension du monde contemporain.
Dès les années 1950, la mise en place des programmes de recherche portant sur les « aires culturelles », sous l'impulsion de Fernand Braudel et de Clemens Heller, illustre bien ces grandes orientations. Ces programmes se proposaient l’étude du monde contemporain à travers un découpage par grandes aires de civilisation, contournant les spécialisations classiques qui morcelaient traditionnellement ces « aires ». Tribut versé à l'histoire selon Braudel, elles devaient prendre en compte, dans le projet d'origine, les notions de mouvement profond et de longue durée constitutives de la réalité sociale. Favorisant un comparatisme bien compris, elles correspondaient aussi intrinsèquement aux grandes orientations théoriques qui avaient présidé à la création de la VIe Section de l’EPHE : la pluralité des temps et le découpage des espaces comme manière de saisir la réalité sociale.
Ce modèle n’est resté ni figé ni intangible et sa discussion a représenté une période charnière pour les sciences sociales et une évolution significative dans l'histoire de la nouvelle Ecole des Hautes études en sciences sociales, un « tournant critique ».
Plusieurs raisons ont gouverné ce changement : d'une part l'épuisement relatif des grandes enquêtes sur des objets transversaux et surtout le fait que le terrain interdisciplinaire ne favorisait pas nécessairement une pratique effective de l'interdisciplinarité ; d'autre part, la disparition progressive des grandes matrices interprétatives qui pouvaient jusqu'alors servir d'unificateurs. Il a fallu repenser ce modèle propre à l'École, en corrélation avec l'autre caractéristique de sa vocation, le souci du monde contemporain. Là encore, la position de l'histoire par rapport aux sciences sociales et comme science sociale a pu être un moteur de réflexion.
Cette réflexion a débouché sur une mise en œuvre nouvelle de l'interdisciplinarité, fondée davantage sur les spécificités et les différences de chaque discipline : elle conjugue une mise à l'épreuve de modèles interprétatifs généraux, avec une critique des effets de dilution méthodologique que l’interdisciplinarité avait tendu à produire au sein de chaque discipline.
L'École des hautes études en sciences sociales pourrait être définie, au terme de cette brève présentation, comme une institution dont le ressort a été dès le départ de faire de ce que l’on a appelé – et qu’on appelle encore – la « crise » des sciences humaines et sociales l’objet de sa réflexion et le lieu du renouvellement des objets et des territoires de ces sciences.
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www.ehess.fr/fr/ecole
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